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Psychanalyse au jour le jour.

Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : DSM

Publié le 4 Avril 2013

Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders

Le DSM DANS LA TOURMENTE

La dernière version du DSM, est peut-être la version de trop.
A vouloir passer au tamis l’ensemble des maux de l’existence, définis comme désordres mentaux ( Mental disorders), la volonté d’emprise de ce manuel commence à se retourner contre lui.
Pas seulement parce qu’il est contraire à l’épistémologie scientifique la plus élémentaire, comme cela a déjà été amplement démontré[1]ou qu’il est de façon trop évidente le cheval de Troie de l’industrie pharmaceutique dans le champ de la santé mentale[2], mais plutôt parce qu’apparait nettement la conception du vivant qui préside à sa rédaction. Posture d’autant plus intenable qu’il n’arrête  pas de se prétendre « a-théorique » alors qu’il ne cesse de prétendre objectiver l’ensemble des maux de l’existence, nos mouvements d’humeur, ce qui fait symptôme de la maladie de la vie. Se révèle ainsi sa théorie implicite, sa conception de l’humain, l’idéologie qui le mobilise.

Son idéologie est le « scientisme » qui veut, selon la formule d'Ernest Renan, « organiser scientifiquement l'humanité ». Le scientisme prétend donner à la science un statut "naturel" et s'appliquant à tout objet en occultant ce qui la conditionne.

Procéder de la sorte relève d’une conception du monde, une représentation dissimulée derrière ce qui se prétend un pragmatisme désenclavé des représentations subjectives de ses rédacteurs.
 L’idéologie relève des motivations sous-jacentes qu’il s’agit de mettre à jour, échappant à la rationalité scientifique,  elle se tient  à son angle mort.  L’idéologie constitue un cadre de référence pour s’assurer de la continuité de ses conceptions du monde, l’ossature d’un ensemble de représentations et de croyances partagées.

Le DSM comme « bible »

 « Une bible pour les psychiatres», c’est ainsi que le DSM est systématiquement désigné sans que cette appellation lourde de sens ne soit interrogée dans sa portée signifiante.

Ce qui fait lien, relie, religion, croyance pour nombre de psychiatres à travers le monde c’est ce qui est nommé  leur « bible » : Le DSM, espéranto d’une novlangue scientiste  et  sorte de traité à l’usage d’une nouvelle génération de psychiatres. Un « outil statistique » et cache misère clinique porté par les fonts baptismaux de l’église pharmaceutique.


Un manuel statistique comme « bible » et la preuve par l’apparence sous le sceau de l’évidence ( evidence based medecine) comme article de foi, visant  force de loi à régenter les pratiques dans le champ de la souffrance psychique, à s’imposer à chacun dans l’exercice de sa fonction thérapeutique et au-delà. Au-delà, car cette « bible » s’impose aux travailleurs sociaux nord-américain et dans certains pays européens des juristes plaident avec cette « bible » en main. Et même si les appelés à la barre n’en sont pas encore à jurer dessus son scientisme fait foi.

Le DSM 5 est un Cache misère clinique, car au lieu de voir la pratique s’assurer du terrain, elle s’assure d’un savoir où les « essais cliniques» servent à cataloguer, fixer, figer à partir d’une approche descriptive des ensembles de manifestations nommées « troubles » indépendamment du discours du porteur de ces troubles.

Trouble qui sera renvoyé au patient, malade, être en souffrance comme un savoir s’imposant à lui et auquel il est enjoint de se plier,  saisi dans une logique statistique pour laquelle la singularité n’existe pas[3]. Le « malade » se définit d’être le porteur d’un trouble dont il s’agit de le libérer ou de le soulager comme d’un mal qu’il aurait attrapé à son corps défendant par quelques ruses d’une mauvaise éducation ou au détour d’un héritage génétique sans qu’il soit en rien impliqué dans ce qu’il ressent.

Qu’est-ce qui vient troubler la psychiatrie ?

Qu’est-ce qui vient troubler cette branche de la psychiatrie au point de contourner l’épreuve de la clinique en se basant sur les avis d’un échantillon de psychiatres, sur le décompte de leurs opinions  et les décombres  d’une psychiatrie humaniste  reléguée au rang de curiosité historique ?
Le montage du DSM réduit  l’expérience de l’homme de l’art  à rien moins qu’un sondage d’opinions. Un sondage qui ferait consensus à partir de l’avis de praticiens la plupart inféodés à l’industrie pharmaceutique, c'est à dire que même à reconnaître quelque valeur en l'espèce aux statistiques, celles-ci sont d'emblée invalidées au regard d'un échantillon particulièrement biaisé.

Faut-il s’en étonner ? Certes non, cette conception de la psychiatrie n’est pas nouvelle, seulement elle prend une ampleur à la mesure de notre modernité via les moyens financiers toujours grandissants dévolus à une entreprise de « médicalisation de l’existence »i[4].

Nous nous retrouvons au cœur de la question de la psychanalyse et de la politique, et si la souffrance psychique est à objectiver via la statistique pour une psychiatrie dans son rôle social de garde-fou, pour la psychanalyse elle est l’expression de la souffrance d’un sujet, singulière, sous la forme d’une névrose, d’une psychose, d’une perversion, forme saisie dans son irréductible singularité, l’expression d’un sujet en souffrance, c’est-à-dire en mal d’un lieu où cette souffrance soit dicible et entendue, en souffrance d’être pleinement possesseur de son existence un tant soit peu dégagée des maux qui lui viennent de l’extérieur, les mots de l’Autre. Les termes de névrose, psychose, perversion, états limites ou ceux de  phobie sociale,  d’hyperactivité  ou encore d’alcoolisme, toxicomanie etc. ne disent rien d’une singularité, ne permettent pas de faire l’économie du cas par cas. Certains ont une valeur heuristique éprouvée dans ce qu’ils repèrent des invariants d’une structure et s’ils n’en restent pas moins des repères classificatoires utiles et nécessaires au praticien, ils sont sans intérêt pour le sujet en souffrance si ce n’est à s’en habiller et à en faire parade.

Ainsi se constituent des prothèses identitaires à partir d’entités mises en exergue par le DSM, là, la subjectivité sourde et réclame ses droits, ce qui ne peut être entendu du côté du désir inconscient vient à se nommer dans la demande d’une reconnaissance aux enjeux de rétribution du préjudice qui déborde les attendus de l’encadrement classificatoire : nul ne songe à former des associations de « malades » se réclamant de leur névrose, mais le trouble se nomme en maladie qui prend au pied de la lettre la classification et la subvertie dans une demande revendicative qui laisse poindre son envers inconscient[5].


A quel idéal de la psychiatrie vient donner corps le DSM ?

Le vieux rêve neurobiologiste de trouver une cause génétique à toutes nos folies reprend sans cesse du service, c’est à ce vieux rêve organiciste à l’œuvre dans la « biologisation » des humeurs que se rapporte le DSM. Une course en avant en dépit du manque patent de résultats des recherches : « Malgré d’intenses recherches depuis la publication du DSM-III en 1980, aucun marqueur biologique (tests génétiques ou biochimiques, imagerie cérébrale, etc.) n’a encore été validé pour aider au diagnostic des troubles mentaux. »[6]


 Avec sa dernière version plus rien n’échappe de nos folies ordinaires ou moins ordinaires, extraordinaires, au quadrillage comportemental, c’est là qu’il se parachève, sa fierté en quelque sorte, et c’est bien à ce moment d’aboutissement que cette approche se dévoile dans son totalitarisme[7].

Le DSM est le garde-fou d’une psychiatrie désincarnée si ce n’est par des praticiens applicateurs zélés de protocoles qui leur offrent l’illusion du monolinguisme de la folie, une façon de se contrôler à travers son contrôle, et, si tous les maux de l’existence peuvent avoir leur répondant moléculaire, la folie pourrait être niée dans son inquiétante étrangeté, quitte à ce que progressivement le DSM ait la prétention de ne plus rien laisser échapper des expressions de notre humaine condition à son emprise, tel n’est -il pas l’ultima ratio de ce manuel ?


La folie,  étrangeté de l’humain au cœur de l’humain, ne cesse de travailler le psychiatre, elle lui offre l’occasion de s’y confronter ou de l’enfermer et, si ce n’est derrière des murs, c’est derrière une nomenclature, nouvelle étouffoir du vivant dérangeant. Dans quelle nomenclature viendra se caser cette folie totalitaire ? La folie de tout soumettre à la mesure y compris et à commencer par  la démesure, une volonté d’épingler comme trouble toute expression d’un désordre de l’humeur pour la réduire au silence. Le DSM, ne nous y trompons pas, procède d’un mécanisme de défense contre les formations de l’inconscient que sont les infinies humeurs qui troublent une conception instrumentale du psychisme. Il s’agit de repérer les fauteurs de troubles et  de mettre fin aux désordres (disorders).

 

La PSYCHANALYSE DANS LA TOURMENTE

La psychanalyse, et tout autant ce qui a quelque accointance avec sa démarche comme la psychothérapie institutionnelle, se retrouve particulièrement sur la sellette ces dernières années.

Les déclarations  pour le moins déplacées de la Ministre déléguée aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l'exclusion quant à  la prise en charge des enfants autistes s’inscrivent dans ce mouvement d’invective à l’égard de la psychanalyse. Il y a bien quelque croyance, croyance à analyser, d’avoir attendu que la gauche serait plus ouverte que la droite à l’endroit de la psychanalyse quand celle-ci sert de bouc émissaire de groupes de pression que les politiques ne veulent en rien contrarier et quand la promotion du « livre noir de la psychanalyse » a été, pour une bonne part, le fait d’un des « news magazines »  (le nouvel observateur) qui s’est toujours classé à gauche.
 

Le drame humain que la psychanalyse remet à jour c’est qu’à notre malheur quotidien -l’ordinaire de nos vies, ou pire - pour une part on y tient, non pas tant ou seulement par quelque masochisme moral ou bénéfices secondaires qui prennent leur place dans une économie de la jouissance, mais parce que cela nous tient dans l’existence, chacun connaît son malheur intime, on est en terrain connu et mieux vaut alors avancer en terrain balisé que de s’exposer aux impromptus du désir, que de sortir des voies tracées. La médication des moments difficiles de la vie vient alors offrir un terrain solide emprunté tant par l’être en souffrance que par son psychiatre quitte à ce que certaines vies ne se passent dès l’enfance uniquement sous la tutelle de la pharmacie[8].

La psychanalyse, elle, est une empêcheuse de penser en rond, c’est à cela qu’elle ouvre quand elle fait « parler le symptôme » au lieu de chercher à l’abraser. Comment pourrait-elle être accueillie favorablement sous les auspices du politique, de la politique de la santé mentale, ou sous celles des gardiens de l’ordre psychiatrique ?

Sous l’appellation psychiatrie, bien des différences et des différends coexistent, des approches opposées : faire droit à l’accueil de la folie voilà qui n’a décidément pas les grâces des édiles de la nation, quoi qu’il en soit on ne peut impunément réduire notre intime humaine condition à un stock d’émotions à gérer ou à gommer par la posologie. Maintenant c’est de l’intérieur même de la psychiatrie américaine que cela tangue et c’est Allen Frances[9], un éminent ancien rédacteur du DSM, qui devient un de ses plus virulents détracteurs[10] retrouvant les vertus salvatrices de la parole. C’est à partir de cette brèche que l’édifice peut se fissurer en différents points. Le conflit est interne, la critique se développe là où elle était le moins attendue, à l’intérieur de la psychiatrie américaine, la dénonciation de la déraison du DSM, se fait entendre à travers ceux qui le connaissent intimement à devoir l’appliquer quotidiennement.

Le DMS ne constitue pas un mal absolu face auquel le psychanalyste se présenterait comme un chevalier blanc. Comme toute pratique, la pratique médicale du psychiatre ne se cantonne pas à la stricte application de consignes, chaque praticien y met du sien, y engage sa subjectivité, sa pratique s’identifie du style qu’il lui imprime.  Il en est de même pour l’usage du DSM qui peut apparaître comme une référence à suivre à la lettre, mais rien n’indique, à priori, que, dans la réalité du travail, il ne soit pas peu ou prou tempéré à l’épreuve du réel du travail. Ce qui ne change rien à la défiance critique à soutenir à son égard, d’autant qu’elle peut aider ceux qui s’y réfèrent de s’en inspirer pour agir avec circonspection et tenir une position critique comme cela advient chez leurs collègues nord-américains.

 

Un manuel sous influence


Le DMS, par le traitement particulier de l’homosexualité décrite comme entité morbide[11], annonçait de la sorte qu’il était de part en part traversé par les indications morales socialement édictées à une époque donnée. Le DSM épouse les préjugés moraux de son temps et il trouve  les entités qu’il décrit dans son espace de production : l’Amérique du nord. Comment une telle évidence n’a-t-elle pas fait voler en éclats sa prétention à l’objectivité, à une neutralité pragmatique se voulant détachée des contingences[12] ?

On peut penser, qu’à coller à l’air du temps, il s’ajustait aux préoccupations morales des nord-américains dans la prise une charge de la folie, travaillée par une volonté rééducatrice non éloignée d’un traitement moral implicite imprégné des bons sentiments d’un évangélisme qui ne s’avouent qu’à troquer une bible pour une autre.

Les psychanalystes américains, participant aux premières versions du DSM, n'étaient pas en reste en n’étant pas moins imperméables aux sirènes du temps présent quand il a fallu attendre des décennies pour que la psychanalyse ne considère pas les homosexualités comme des déviances pathologiques, une inversion d’un bon ordre sexuel. Il a fallu du temps pour que soit remise en question cette bien-pensante conception dans laquelle s’enkystait la psychanalyse au diapason d’une ego-psychologie nord-américaine qui définissait son champ et inclinait, tel le DSM, à l’adaptation du sujet aux réquisits sociaux dominants.

Cela n’est peut-être pas étranger à la participation de psychanalystes à la rédaction des premières versions du DSM et même s’il est patent qu’elles ne bradaient pas les entités psychopathologiques issues d’une clinique du sujet, est-ce qu’elles n’ouvraient pas moins à la catastrophe actuelle annoncée ?  Laissant, au fur et à mesure des nouvelles versions, les psychiatres-psychanalystes pantois devant une telle orientation.

 Le psychanalyste ne prétend pas n’être pas traversé par les présupposés de son époque, le psychanalyste ne le dénie pas, et ne se campe pas derrière un savoir qui voudrait avoir force d’objectivité, même s’il n’échappe pas aux tentations doctrinaires dogmatiques.  La psychanalyse met ces mouvements en travail comme effets sociaux dans leurs retombées subjectives, comme toutes les manifestations de la culture qui traversent et modèlent la psyché, c’est aussi en quoi elle interroge le DSM comme effet de culture dans son malaise toujours renouvelé.

 

[1] Initiative pour une clinique du sujet. Pour en finir avec le carcan du DSM, Toulouse, érès, 2011, 80 p.

[2] Lane C “Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions” Flammarion, Paris 2009

[3] Les malades ne sont plus des malades, mais des déviants par rapport à des moyennes statistiques de plus en plus étroites http://www.simon-daniel-kipman.com/themes-de-recherche/psychanalyse-en-psychiatrie/d-s-m-directives-segregation-marchandisation.html

[4] Roland Gori : "On assiste à une médicalisation de l'existence" Le MONDE 13.05.2013

[5] Sur les enjeux du préjudice dans notre modernité on trouvera un analyse minutieuse dans l’ouvrage de Paul-Laurent Assoun : Le préjudice et l’Idéal, pour une clinique sociale du trauma .Economica Anthropos

[6] Gonon F. Quel avenir pour les classifications des maladies mentales ? Une synthèse des critiques anglo-saxonnes les plus récentes. L’Information psychiatrique 2013 ; x : 1-10 doi:10.1684/ipe.2013.1054

[7] Rien n’échappe plus au DSM quand il prétend détecter une prédisposition à la psychose à traiter par avance : « syndrome de risque psychotique »

[8] Des psychiatres dans leur pratique hospitalière peuvent pousser l’assujettissement à l’industrie pharmaceutique au point que chacune de leur prescription médicamenteuse soit directement connectée informatiquement avec les laboratoires qui les enregistrent et les récompensent de différentes façons. Ces médecins, au cœur même de l’assistance publique, se font les courroies de transmission d’intérêts privés.

[9] Professeur émérite à l’université Duke, Caroline du Nord, États-Unis d’Amérique

[10] Dans ce propos il redécouvre que face au passage au crible de tous les moments difficiles de l’existence, le temps de l’écoute permet dans bien des situations de faire pièce à une prescription médicamenteuse outrancière. http://www.oedipe.org/forum/read.php?6,30793,30810#msg-30810

[11] Jusqu’en 1987 l’homosexualité était considérée par les différentes versions du DSM comme une maladie mentale, c’est dire que celles où des  psychanalystes ont participé à leur rédaction n’ont pas échappées aux préjugés en vigueur à cette époque.

[12] Le DSM apparait donc comme un manuel sous influence non seulement des laboratoires pharmaceutiques, mais tout autant de groupes de pression soit pour en disparaître quand il s’agit de l’homosexualité ou y apparaître quand il s’agit de revendiquer une reconnaissance de handicap permettant rétribution.